Taxez les riches ? La solution selon Gabriel Zucman
La taxe Zucman est présentée tout autour de nous comme la solution miracle au manque d'équité fiscale en France : Mais est ce vraiment le cas ? Voici nos éclaircissements sur le sujet accompagnés d'un entretien avec un économiste spécialisé dans le domaine.
La taxe Zucman est une proposition de loi inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, professeur à l'université de Berkeley (Californie) et à l'École d'économie de Paris, soutenue par pas moins de 7 prix Nobel d’économie.
Cette taxe consiste à mettre en place un impôt plancher sur la fortune (IPF) visant les 0,01% des contribuables les plus riches en France soit 1800 foyers fiscaux dont le patrimoine excède 100 millions d’euros. Elle vise à s’assurer que les ultra-riches paient au minimum 2% d’impôts sur leur fortune et répond à la question d'égalité devant l’impôt. Dans une interview donnée à France Culture, Gabriel Zucman explique :

Les personnes qui touchent des salaires payent des impôts : de la CSG, de l’impôt sur le revenu à hauteur de 10, 20 ou 30% en fonction de leur niveau de revenu, [...]mais si on prend les milliardaires pour lesquels la quasi-totalité de leurs revenus correspond à des dividendes, ils ne payent pas d’impôts sur le revenu sur ces dividendes parce qu’ils ne leur sont pas versés à eux personnes physiques mais à des sociétés holding qui n’ont pour fonction que de faire écran à ces impôts…
Dans une autre interview il ajoute :
Le patrimoine des ultra-riches a augmenté en moyenne de 8% par an sur le 4 dernières décennies, quand celui d’un français moyen n’a augmenté que de 2 ou 3%
Autrement dit, les plus riches sont presque deux fois moins taxés que le reste des français.
Gabriel Zucman estime que la taxe permettrait de rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros (si rien n'est perdu) avec une hypothèse centrale de 20 milliards qui serviront à investir dans les services publics, la santé, l’éducation, qui sont, d’après lui, la clé de notre productivité. Il est néanmoins probable qu’environ 20% des contribuables concernés échappent à cette imposition.
Interview de Jordan Trombetta, expert en fiscalité
Afin de nous éclairer sur ce sujet complexe, l’économiste Jordan Trombetta, ancien chercheur sur le sujet de la fiscalité des ultras riches a accepté de répondre à nos questions.

Quels sont les arguments favorables à cette taxe ?
Jordan Trombetta : Le premier argument est de dire qu’il n’y a pas d’équité fiscale en France. Les ultras riches, qui représentent 0,01% de la population payent proportionnellement moins d’impôts que les Français moyens, grâce à des conseillers, des techniques fiscales qui leur permettent d’échapper à l’impôt. Ces techniques d’évasion fiscale ne sont pas forcément illégales, il s’agit parfois simplement d’un jeu avec les règles actuelles. Le second argument est l’état des finances publiques, il y a une recherche de recette comme on le voit partout dans les médias actuellement. Ainsi si tout le monde est mis à contribution, il est encore plus injuste de laisser les ultras riches hors de cet effort.
Quels sont les arguments des détracteurs de cette taxe ?
Jordan Trombetta : Il existe un argument qui revient depuis très longtemps, c’est celui de dire que si l’on taxe les ultras riches, ils risquent de déplacer leurs richesses. Cependant, le conseil d’analyse économique a publié une étude il y a deux mois, démontrant qu’effectivement une mobilité existe mais qu’elle est de l’ordre de 0,2%. Ainsi un petit nombre de grandes fortunes risquent en effet de s’expatrier mais c’est une part extrêmement faible. Le second argument est d’ordre juridique : si l’on cible dans la loi une catégorie de personne que l’on peut identifier, alors c’est une loi qui est anticonstitutionnelle, car chacun n’est plus égal devant les impôts. Il est impossible de savoir si c’est réellement le cas car comme la loi n’a pas été promulguée, on ne sait pas ce qu’en dirait le constitutionnel (NDLR : chargé de décider si une loi respecte bien la constitution). Le conseil constitutionnel ne peut pas émettre un avis en amont d’une loi, on ne peut donc pas concrètement savoir. Enfin, le dernier argument est celui du ruissellement des richesses. Certains soutiennent qu’en taxant les ultras riches, on les appauvrit et, puisqu’ils investissent leur argent en France, on appauvrit également les emplois et les travailleurs.
D’autres façons de taxer les ultras riches vous semblent elles envisageables ?
Jordan Trombetta : Il y existe en réalité peu d’alternatives à la taxation des ultras riches. Ces 1800 foyers fiscaux ont des profils très diversifiés, certains ont des entreprises, certains sont des rentiers, certains sont Bernard Arnaud, certains ont des starts up… On peut dire que l’on taxe ceux qui ont des entreprises mais ce ne sera jamais taxer ces 1800 personnes. La taxe Zucman est la seule mesure qui permette de taxer uniquement sur la richesse. On pourrait par exemple taxer la plus-value à la revente d’action mais tous les ultras riches ne sont pas concernés. Les autres mesures seront forcément imparfaites. Donc si l’on fait des alternatives, il faudra trouver d’autres canaux, ce qui n’est pas simple.
En somme, les prédictions des opposants à la taxe ne sont pas systématiquement fondées et méritent d’être débattues car cette taxe pourrait définitivement nous faire tendre vers plus de justice fiscale.
Rédaction : Gabrielle Thouan
Entretien : Anna D. et Joséphine L.
Lexique :
CSG
Contribution Sociale Généralisée) est un impôt prélevé à la source sur divers revenus pour financer la Sécurité sociale.
ISF
L'ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune) est calculé selon un barème progressif basé sur le patrimoine net taxable.
Conseil Constitutionnel
Le Conseil constitutionnel est une institution française créée par la Constitution de la Cinquième République du 4 octobre 1958. Il se prononce notamment sur la conformité à la Constitution des lois, des traités et des règlements intérieurs.
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